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Ahmed Chaouch El Kebaïli (septembre 1807)

portes du Palais du beyMonté sur une jument harnaché d'or et d'argent, il se fit conduire en triomphe à Dar el Bey. Immédiatement installé, il reçut l'hommage de ses partisans et courtisans en quête de charges et titres. Outre Mustapha Ben Achour (1), il fit libérer des cachots de la Kasbah certaines personnalités dont Mohamed Ben Guerba ancien kaïd laâzib el begueur qui avait vendu pour son compte des boeufs appartenant au beylik

(1) Mustapha Ben Achour reçut le commandement des Ferdjioua. Ceux ci commandés par Bou Renan Ben Magoura, ne virent pas tous d'un bon oeil son retour. Mais, Mustapha Ben Achour a rallié à sa cause les Beni Amran, les Beni lajiche, les Beni Foughal et les Beni Mejaled avec lesquels il fit des incursions dans les domaines de Bou Renan auquel il enleva la smala. Abandonné peu à peu par ses partisans, Bou Renan se retira dans les montagnes où on n'entendit plus parler de lui.

Pendant que le "berrah" annonçait aux habitants l'élévation d'un nouveau bey et communiquait les ordres du maître exigeant le rétablissement de l'ordre et de la discipline, le canon tonnait du haut des remparts pour fêter l'événement. Entouré d'une forte escorte de spahis, il sortit de Dar El Bey, et, suivi d'une foule de badauds et d'admirateurs, il se dirigea au camp du bach agha où étaient entreposés les biens de l'armée. Il s'en empara au milieu des cris de joie et des acclamations des janissaires.

De retour à Dar El Bey et devant toute l'assistance, il fit éventrer les caisses et remit à chaque janissaire, et à chaque chef de douaer : cent soltanis.

Quand tout le monde évacua le palais, il retint un certain nombre de personnalités avec lesquelles il constitua ainsi son makhzen : Ahmed Tobal, Khalifa, en remplacement de Ben Smaïl qui avait fui au moment des événements ; Abbas Ben Djelloul, bach kateb ; Taher Ourezzi, mufti maliki ; Bach Tarzi, mufti hanafi ; cheikh Ahmed Ben Eulmi, kadi maliki ; cheikh Fatah Allah, kadi hanafi. Celui ci ne jouit pas longtemps de son emploi. A la suite d'un entretien orageux au cours duquel il lui reprocha ses crimes et sa conduite, il fut exilé à Annaba et assassiné en route. Gandjou, bach agha, Chaâbane Ben Mââti, agha de la nouba (commandant de la garnison). Il désigna aussi le khaznadji, le bach chaouch, l'oukil el hardj ainsi que tous les fonctionnaires nécessaires à son administration.

Ceci fait, il expédia un émissaire à Hamouda Pacha, bey de Tunis, non seulement pour l'informer de ses nouvelles fonctions mais aussi pour lui proposer un accord de bon voisinage, et d'assistance mutuelle contre le pacha d'Alger qu'il espérait détrôner sous peu (2). Le jour du départ à destination d'Alger, et pour s'assurer une parfaite sécurité de ses arrières, il fit arrêter un certain nombre de suspects et mit à mort les plus redoutés dont l’agha deïra et le bach hammar, Bel Gandouci. Il s'arrêta à Bir El Beguirat où devaient le rejoindre ses alliés : des goums de l'Oued Bou Sellah, des Serrouïa, des Zenati, de Tlaghma, des Abd Nour et Ferdjioua promis par Mustapha Ben Achour.

(2) L. Péchot : « Histoire de l’Afrique du Nord ». P.119.

Entre temps, d'accord avec Ahmed Tobal, Ben Smaïl, Khalifa de Ali Bey qui avait fui dès le premier jour de la tourmente, réussit à atteindre Alger et présenter à Ahmed Pacha les événements tragiques de Qacentina.

Celui ci dépêcha immédiatement un chaouch auprès du bey du Titteri lui ordonnant de se rendre aux Portes de Fer pour en défendre le passage. Deux autres chaouchs partirent à Qacentina porteurs de messages écrits à l'intention de Chaâbane Ben Mâati, agha de la nouba de Qacentina, des officiers de la milice et des janissaires, des Turcs, du cheikh el baladia Lefgoun, des cadis, ouléma et muftis, et enfin aux principaux chefs des tribus makhzen.

Les courtiers arrivèrent de nuit à destination quelques jours après. Pendant que l'un des chaouchs au camp de Bir El Beguirat remettait secrètement les messages aux destinataires se trouvant sur les lieux, l’autre en faisait de même en ville.

L'agha Chaâbane Ben Mâati réunit immédiatement ses officiers et leur lut la lettre du pacha :

« Nous avons appris qu'Ahmed Chaouch El Kebaili a secoué le joug de l'obéissance et qu'il s'est servi de notre nom pour se faire reconnaître bey, Ne le croyez pas. C'est un usurpateur qui ne s'est arrogé le pouvoir que pour jeter la perturbation sur la terre et semer en tout lieu le meurtre et la dévastation. Or voici nos ordres, et vous devez vous y conformer rigoureusement ; Que chacun de vous se lève et s'arme pour le combat. Pourchassez partout et sans relâche l'imposteur et ses partisans, tous gens d’iniquité et de désordre. Point de quartier pour eux. Qu'une prompte mort les atteigne et que justice se fasse. Celui que nous investissons de notre souveraineté et que vous reconnaîtrez pour bey, c'est notre fils, l'illustre Ahmed Tobal. Que Dieu l'ait en sa sainte garde ! ».

Aux soldats de l'odjak la lettre disait :
« Soldats ! je vous pardonné votre révolte, parce que je sais qu'en cela vous n'avez fait que céder aux instigations mensongères d'un imposteur, qui n'a pas craint de vous utiliser à des fins personnelles en versant le sang de notre agha et du bey Ali. Que pouvez vous d'ailleurs espérer d'un tel homme ? Ce n'est qu'un insensé et un pervers. Secouez au plus vite un joug si honteux ; éloignez vous de lui, livrez le aux mains des Arabes (les goums).
« Mais si vous persistez à suivre le parti de ce séditieux, je vous abandonnerai sans pitié à la vengeance de vos ennemis. Pas plus que lui, vous n'échapperez à leurs coups et ils vous liquideront en peu de temps. Rompez donc, tandis qu'il en est temps, les liens qui vous retiennent à lui. C'est pour vous le parti le plus sûr »

La lettre, passée de main en main, fut lue et commentée dans tout le camp. La raison, reprenant peu à peu le dessus, les craintes de représailles aidant, l'hostilité à l'égard de Ahmed Chaouch s'accrut et se généralisa.

Au lever du jour, les troupes sonnèrent le boutte selle et l'on se mit en marche. Au même moment, toutes les hauteurs voisines se couvrirent de cavaliers tirant des salves de feu dont quelques balles vinrent siffler aux oreilles de Ahmed Chaouch. Etonné de cette manifestation, l'agha lui expliqua que c'était la tradition des douaer d'exprimer leur joie en tirant des salves de feu avant le départ en campagne. Il ne dit rien, mais cette "tradition" lui parut, tout de même, bizarre et inquiétante.

Le cortège s'ébranla. Les cavaliers douaer, au lieu de précéder les fantassins comme d'habitude se rangèrent sur les ailes comme pour les encercler. Ahmed Chaouch s'étonna encore de cette formation. L'agha le tranquillisa en se rendant auprès de leurs chefs. Il leur expliqua que tout le monde était d'accord avec les ordres du pacha, mais qu'il ne fallait pas donner l'éveil à Ahmed Chaouch et à certains de ses amis, jusqu'à ce que lui même et ses officiers eussent donné le signal. « Ne vous impatientez pas, nous avons tous juré obéissance au sultan, leur dit il, nous tous, comme vous, sommes serviteurs de l'odjak, notre cause est commune, et le même drapeau doit nous servir de guide, Marchez d'un côté, nous marcherons de l'autre et sous des dehors d'une hostilité réciproque, cachons une secrète et franche amitié » (3).

(3) Vayssettes : « Les derniers beys de Constantine. R.A. n° 21.

Les douaer fermèrent donc la marche. Mais l'inquiétude en Ahmed Chaouch ne se dissipa guère. Ces mouvements contraires à la règle, ces coups de feu spontanés, ces conciliabules dans les groupes lui firent redouter un complot. Il l'exprima à l'agha qui lui suggéra de rebrousser chemin. Ahmed Chaouch donna ordre aux troupes de rétrograder sur Qacentina. Le convoi fit halte aux abords de la ville sur les bords du Rhummel. Les tentes dressées, Ahmed Chaouch alla s'installer dans la tente de refuge "khibet el djerah" (4).

(4) Toute les fois que la colonne se mettait en marche, à chaque halte ont dressait deux tentes en face l’une de l’autre. La première, « khibet el djerah », était la tente de refuge : tout ennemi qui avait la chance de s'y réfugier, avait la vie sauve et sa personne devenait inviolable. La Seconde « khibet el bechouda » était la tente de perdition. Celui qui par erreur, y trouvait abri, était à l’instant mis à mort. Comme aucun signe particulier ne distinguait les tentes, Il était facile de se méprendre.

Cette coutume existait même dans les villes à garnison, devant chaque caserne Il y avait une chaîne devant la porte qui procurait aux coupables en fuite le bénéfice de cette protection, L'intérieur de la caserne offrait aussi cette inviolabilité.

Pendant qu'on s'affairait au camp, l'agha Chaâbane Ben Mââti, suivi de quelques officiers et chefs de goums, se rendit secrètement en ville auprès du nouveau bey annoncé par le dey. Il y trouva Ahmed Tobal déjà entouré de ses conseillers. Celui ci, après les avoir entendus sur la situation au camp, leur exhiba le firman de son investiture et les instructions qu'il reçut du dey quant au sort de Ahmed Chaouch.

D'accord avec l'agha et ses conseillers, il expédia au camp deux chaouchs chargés de mettre fin à la vie de l'usurpateur. Comme ce dernier se trouvait réfugié dans cet asile inviolable qu'est "khibet el djerah", les janissaires en faction s'opposèrent, tout d'abord, à l'exécution de la sentence, puis, convaincus du bien fondé des ordres du bey conformes à l'écrit exhibé du pacha, ils laissèrent agir le destin.

Ahmed Chaouch El Kebaïli Bou Tortoura fut saisi à la gorge, mis hors de la tente et décapité sur le champ. Sa tête au bout d'une lance fut promenée dans les rues de la ville. Son corps fut enterré au cimetière Ouznadji sur le versant sud ouest de Coudiat Aty. On l'appela dans les chansons : « Bey ras hou » (bey de lui même) ; « Bey deraâ hou » (bey de son bras) ou encore « Bey rou hou » (bey par sa propre volonté).

Lorsque tout redevint calme, Ahmed Pacha s'en prit aux Constantinois non pour avoir favorisé l'entreprise de Ahmed Chaouch, mais pour n'avoir rien fait pour l'empêcher de réussir. « Vous êtes, leur dit il dans sa lettre comme cette ville dont la fidélité semblait à l'épreuve de tout. L'abondance et les richesses pénètrent dans ses murs, le bonheur se fit pour les habitants, les jouissances se multiplièrent autour d'eux. Mais les habitants méconnurent les bienfaits de Dieu, et Dieu leur fit connaître alors le manteau de la faim et de la peur » (5). Il leur infligea une lourde amende en sus du denouche à régler immédiatement.

((5) Tirée de la Sourate « L'abeille » verset 113. Le Saint Coran.

Les notabilités, réunis sous la présidence de Si Mohamed Ben Lefgoun cheikh el baladia, rédigèrent une supplique au pacha lui expliquant comment ils furent noyés dans la multitude, comment la ville fut envahie par des hordes dévastatrices. Janissaires, spahis, douaer, toute l'armée était là. Combien leurs avis et leur présence étaient insignifiants quand les plus hauts dignitaires applaudissaient l'usurpateur.

Le pacha revint sur sa décision et leur accorda son pardon. Il annula donc l'amende mais maintint le denouche s'élevant à quatre cent mille soltanis.

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