Accueil
Remerciements
Préambule
Introduction
Le Beylik
Organisation
Intronisation
Le Makhzen
L'Administration
La Justice
Le Culte
L'Economie
La Force Publique
Les Propriétés
Biographies
La Colonisation
La Résistance
La Chute du Beylik
Capitulations
Points de Vue
Documents
Liens
Bibliographie
Contact
Livre d'Or

La Chute de Qacentina

Le 1 octobre 1837, le duc de Nemours et le général Trézel ouvrirent la marche. Ils arrivèrent le 6 sur le plateau de Mansourah.

Comme l'année précédente, Qacentina se montra résolue à défendre son existence d'algérienne quels qu'en fussent les sacrifices. A l'approche de l'ennemi, Ahmed Bey sortit de la ville défendre les positions extérieures pendant que Ben Aïssa prenait le commandement de la défense interne.

siege de Constantine en 1838

D'immenses drapeaux turcs flottaient au haut clés minarets et des fenêtres des habitations, la musique de la nouba parcourant les rues donnait à la ville une ambiance de fête à laquelle tout le monde participait : hommes en armes, femmes lançant des youyous, enfants transportant des sacs de terre, des pierres, des planches vers les remparts pour leur utilisation immédiate en cas de danger ; les tobjis, à leurs postes ouvraient déjà leurs tirs sur le camp proche de l'ennemi

Pendant que ce dernier prenait position, Ahmed Bey, entouré des goums de Ben Gana et autres feudataires, observait sans réagir on ne sait pourquoi ces mouvements du haut du promontoire dominant Bou Mezroug. Cette attitude de Ahmed Bey ne fut jamais éclaircie. Attendait il une sortie de Ben Aïssa pour foncer et prendre l'ennemi encre deux feux ? Attendait il un moment plus favorable ?

Toujours est-il qu'il avait permis à l'ennemi d'établir et consolider ses positions : le général Rulhières s'installa sur le Coudiat ; un autre groupe à Mansourah ; le quartier général à Sidi Mabrouk.

Combat de rue en 1837.

Ben Aïssa prit l'initiative d'effectuer, aux premières lueurs du jour du 7, deux sorties consécutives : sur El Kantara et sur le Coudiat, avec l'espoir d'arrêter la progression ennemie. Les cavaliers de Ahmed Bey vinrent alors à la rescousse. Mais les positions ennemies s'étaient déjà consolidées. A 10 heures, ils furent tous repoussés, les uns en pleine campagne, les autres derrière leurs remparts. Les obus de l'ennemi tombant à l'aveuglette dans tous les quartiers provoquaient de multiples incendies, semant le désordre et la panique.

Ben Aïssa et ses collaborateurs continrent avec difficultés la population. Au bout de nombreux efforts, l'ordre et la discipline imposés, chacun reprit sa tâche et retourna à son poste. Mais la défense s'en ressentit. Elle fut moins mordante, moins active. L'artillerie, elle même, qui fut le principal appoint marqua un net ralentissement faute de munitions.

L'ennemi exploita tous ces signes de faiblesse, Il redoubla d'activité et d'effort. Les portes les plus proches furent atteintes. Une large brèche s'ouvrit dans l'enceinte (le 10 octobre).

Valée adressa immédiatement aux assiégés un ultimatum les intimant de déposer les armes. Ahmed Bey, ayant pris connaissance du message exigea le cessez le feu et un délai de vingt quatre heures pour répondre. (*). Valée refusa.

(*) Le 11 octobre 1837 Message de Ahmed Bey à Valée :
« Nous avons appris que vous avez envoyé un messager aux habitants de la ville, qui a été retenu par les principaux chefs, de crainte qu'il ne fut tué par la populace, par suite de son ignorance dans les affaires. Les mêmes Chefs m'ont fait part de cette nouvelle pour avoir mon avis. Si votre intention est de faire la paix, cessez votre feu, rétablissez la tranquillité ; alors, nous traiterons la Paix.

Attendez 24 heures afin qu’un personnage arrive de me part et par suite de notre traité, nous voyons éteindre cette guerre d’où il ne peut résulter aucun bien. Ne vous inquiétez pas de votre messager, il est en sûreté en notre ville ».

Le 12 octobre, Valée répond en ces termes :
« Je vois avec plaisir que vous êtes dans l'intention de faire la paix et que vous reconnaissez qu’à cette égard nos intérêts sont les mêmes. Mais dans l’état où sont les opérations de siège, elles ne peuvent être suspendues et aucun traité ne peut être signé par nous que dans Constantine. Si les Portes nous sont ouvertes par vos ordres, les conditions seront les mêmes que celles déjà consenties par nous, et nous nous engageons à maintenir dans la ville le bon ordre, à faire respecter les personnes, les propriétés et la religion et à occuper la ville de manière la plus courte possible. Mais, si nous y entrons par la force, nous ne serons plus lié par aucun engagement antérieur et les malheurs de la guerre ne pourront plus nous être attribués. Si Comme nous le croyons, votre désir de la paix est le même que le notre, et tel que vous l'annoncez, vous sentirez la nécessité d'une réponse Immédiate ». G. Yver Correspondance du Maréchal Valée. T. I - 1 et 2.

Ben Aïssa sans connaître l'avis de Ahmed Bey repoussa l’ultimatum (**).

(**) Réponse de Ben Aïssa : « Il y a à Constantine beaucoup de munitions de guerre et de bouches, si les Français en manquant, nous leur en enverrons Nous ne savons ce que c'est qu'une brèche ni une capitulation ; nous défendrons à outrance notre ville et nos maisons. Les Français ne seront maîtres de ConstantIne qu’après avoir égorgé jusqu’ au dernier de ses défenseurs ».

Les assauts de l'ennemi reprirent le 13 en force, et la défense avec plus d'acharnement. Dans la nuit précédente, les patriotes avaient réparé la brèche au moyen de sacs de terre, de laine et de débris d'affûts, mais rien ne résista le lendemain aux tirs de l'artillerie ennemie concentrés sur ce point.

Le 13, à trois heures et demie du matin, Le Capitaine du génie Boutault fit une reconnaissance de la brèche. Ayant déclaré qu'elle était praticable, on prépara l'assaut. Lamoricière commanda les Sapeurs, le colonel Combes un bataillon de Zouaves, le colonel Corbin deux bataillons d'infanterie.

Deux heures avant le jour, tout le monde se trouvait en prêt à l'assaut. A 7heures du matin, le duc de Nemours en donna le signal, le capitaine Garderens fut le premier à escalader l'enceinte. Cherchant de partout un passage, pour pénétrer en ville, Ils ne rencontrèrent partout que des obstacles ou des entrées sans issues, partout un feu meurtrier de mousqueterie. Un combat acharné s'engagea dans les rues.

Ahmed Bey tenta de reprendre les pourparlers avec Valée, mais celui-ci s’y refusa tant qu'il ne serait pas à l'intérieur de la ville (***).

(***) Dans sa correspondance à son ministre de la guerre, Valée expliqua ce refus d'accorder ce délai de la manière suivante : « Cette démarche d'Achmet m’a semblé n’avoir d’autre but que de gagner du temps, dans l’espoir peut être, que des vivres ne tarderaient pas a nous manquer et que l’armée, obligée d’exécuter en présence de l’ennemi une pénible retraite, périrait de faim et de misère ou offrirait au bey une occasion favorable pour l’attaquer avec succès. Cette pensée m'a fait répondre au bey que, tout disposé que j’étais à faire avec lui une convention qui mit un terme aux maux de la guerre, je devais exiger, comme préliminaire indispensable de toute négociation, la remise de la place, et, qu’en attendant sa réponse, je n’en presserais pas avec moins d'activité la marche de l'attaque. Le parlementaire partit avec la lettre dont je VOUS adresse copie, et depuis lors nous n'avons plus entendu Parler d'Achmet. Au moment où je refusais de faire cesser le feu de mes batteries, la brèche était déjà commencée au corps de place. Dans la soirée du 12, elle me parut assez avancée pour faire espérer que, le lendemain, elle serait complètement praticable... ».
G. Yver Correspondance du Maréchal Valée. T. I – p5.

Le premier assaut des assaillants fut repoussé avec succès ; au second quelques éléments réussirent à passer. Mais ils furent tous touchés à mort par des tireurs embusqués sur le rempart, dans les maisons attenantes, à la muraille, et à chaque coin de rue ; le troisième aboutit à l’occupation des rues les plus proches. Alors, commença un combat acharné, terrible, de maison en maison. Les patriotes tiraient de partout ; des toits, à travers les jalouses des fenêtres, des ouvertures d'échoppes, des coins de rue...

On combattait au corps à corps, au sabre, à la baïonnette, au couteau, à coup de pierres. Cadavres et blessés des uns et des autres jonchaient les rues. Une explosion qui fait secouer toute la ville retentit soudain à la Casbah. Les tobjis venaient de se faire sauter avec la poudrière pour ne point tomber entre les mains de l'ennemi ; bon nombre d'entre eux furent retrouvés, plus tard, les corps entièrement déchiquetés, enfouis dans les décombres.

combat de 1839
De nouvelles unités lancées par l'ennemi pénétrèrent dans les quartiers les plus éloignés, favorisées par l'extinction progressive de la défense ; il restait bien quelques îlots de résistance çà et là, mais ils ne constituaient aucun barrage sérieux à l'occupation entière de la ville. Des parlementaires hissant le drapeau blanc sortirent de Dar El Bey demandant aux gradés du coin d'entrer en contact avec le Haut commandement. Le général Rulhières, qui les reçut leur accorda l'aman et leur promis de préserver leur culte et leur personne. Il fit cesser le feu et se dirigea en leur compagnie sur la casbah où il s'installa provisoirement. La soldatesque livrée à elle même déferla alors en ville où elle commit les atrocités les plus invraisemblables. (****).

(****) La ville fut mise en coupe réglée par les Soldats. « Une fois maîtres d'une maison, ils en décoraient la porte d'un sauf conduit, la fermaient avec soin, puis cachés dans le centre de leur prise, ils forçaient les coffres, débarrassaient les armoires, ne laissaient rien sans examen et enlevaient ensuite tranquillement et peu à peu tout ce qu'ils trouvaient à leur convenance… Tout fut Pillé. Depuis les vieillard jusqu'aux enfants... Le docteur Sédillot considérait que les Juifs Y jouèrent le principal rôle dans ce pillage... C.A. Julien ouvrage cité, P. 141.

Le général Valée eut fort à faire pour rétablir et maintenir l'ordre en conservant les anciens organes administratifs. Il laissa dans la place une garnison de 2.500 hommes, qui fut bientôt doublée... Le corps expéditionnaire subit de grosses pertes : 15 officiers parmi les plus élevés en grade furent tués et 138 blessés (selon les chiffres officiels donnés par l’Armée). (Tirés du même ouvrage).

Ce fut cheikh Lefgoun, cheikh el baladia et son fils Hamouda (Mohamed) qui conduisirent la délégation parlementaire. Ben Aïssa et les cadis avaient quitté la ville avant la débâcle, laissant le commandement à Bel Bedjaoui. Kaïd dar, Bakir Khodja avait péri la veille. Il ne restait, en fait que cheikh el baladia, Bel Bedjaoui et quelques personnes Agées, invalides, blessées, femmes et enfants. Dans sa fuite précipitée, la très grande majorité de la population tenta de gagner le Rhummel à flanc de rocher ou à l’aide de cordes. Celles ci cédèrent sous le poids. Des centaines de personnes s'écrasèrent dans le Rhummel (*****).

(*****) Pendant l'assaut, écrit Galibert, une partie de la population avait tenté de fuir par les côtés de la ville non exposés à nos coups ; mais un grand nombre de ces malheureux se brisèrent sur les rochers escarpés qui ceignent Constantine, et d'où ils ne pouvaient descendre qu'au moyen de longues cordes que leur poids faisait rompre. Nos soldats furent saisis d'horreur lorsque plongeant leurs regards dans le fond de ces abîmes, ils virent cette multitude d'hommes, de femmes et d'enfants écrasés, mutilés, entassés les uns sur les autres, et se débattant encore dans les angoisses d'une douloureuse agonie.

Ben Aïssa, le lieutenant du bey, fut du nombre de ceux qui parvinrent à s'échapper ; le kaïd dar, blessé la veille, était mort pendant l'assaut ; un des cadis avait suivi le bey ; l'autre, quoique blessé s'était enfui dès qu'il avait été en état de supporter la fatigue. Il ne restait dans Constantine, à l'exception du cheikh el baladia, aucune des autorités principales. Ce vieillard vénérable, affaibli par l'âge, n'avait pas assez d'énergie pour faire face à toutes les nécessités de la situation. Heureusement, son fils, (comme Kaïd de la ville) se chargea d'organiser une espèce de pouvoir, une municipalité composée d'hommes dévoués, à l’aide desquels on parvint à connaître et à classer les ressources que la ville offrait, ainsi qu'à faire rentrer la contribution de guerre imposée aux habitants pour subvenir aux besoins de l'armée. »..
L'Algérie Ancienne et Moderne" Galibert, pp. 490 et 491.

Qacentina vers 1830

La description de la ville à cette époque explique les difficultés des habitants à emprunter cette issue qui fut fatale à un grand nombre d'entre eux :

" Cinq rues principales traversent Constantine dans un sens à peu près parallèle au cours du Rhummel. La plus élevée conduit de la porte supérieure à la Casbah, qui suit assez exactement la crête du terrain sur lequel la ville est assise. Deux autres partent des abords, l'une de la porte inférieure, l'autre d'une porte intermédiaire, auxquelles elles se rattachent, par de tortueux embranchements. Une troisième prend naissance à la porte intérieure, auprès de laquelle eut lieu la grande explosion. A leurs extrémités opposées, ces grandes voies se transforment en un réseau inextricable de petites rues dont le nœud est près de la porte du pont. Les autres rues, pour la plupart perpendiculaires à celles ci, sont en pente raide. Des passages voûtés servent d'issues à des maisons... La sortie se faisait soit par le Coudiat, soit par le pont"

Ahmed Bey, qui stationnait sur une colline voisine, eût voulu attaquer les arrières de l'ennemi, mais l'avis du cheikh el Arab Ben Gana qui suggérait de gagner le Sud, l'emporta.