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Propriétés Froncières

Régime des terres :

« La propriété foncière en Algérie », par Maurice Pouyanne (1900), pp 1017 et suivantes.
Extraits relatifs au régime de la propriété, d’une notice sur l’organisation et la situation de la province de Constantine sous la domination Turque.

La terre, selon la foi et la pratique musulmanes, est la propriété de Dieu, Il en donne l'usufruit aux croyants, à condition de travail, de prières, d’aumônes (on sait qu'à l'origine, l'impôt n'était qu'une aumône pour subvenir aux besoins de la guerre sainte) et d'obéissance au souverain. En retour, le droit du souverain que Dieu a établi son vicaire pour la répartition des terres aux croyants, est de maintenir l'ordre et la paix, si nécessaires au développement et à la prospérité des travaux agricoles.

Personne, dans les tribus, depuis le cheikh jusqu'au dernier fellah (laboureur) ne possède individuellement la moindre parcelle de terre. Dans la famille, c'est le père qui administre la terre ; dans le douar, ce sont les anciens ; les grands ; dans la ferka, c’est le cheikh ; dans l’arch, c’est le kaïd ; enfin dans l'Etat, c'est le souverain ou les pachas et les beys, ses délégués.

Ainsi en droit oriental, la propriété du souverain est la règle ; la propriété individuelle est l'exception. Cependant, dans les villes et dans leur banlieue (fahs), la propriété individuelle semble souvent prévaloir, c'est que là, la société tout à fait sortie de l'état élémentaire de la tribu, de la constitution primitive et patriarcale, arrive à un système d'intérêts plus compliqués et plus distincts ; là aussi, d'ailleurs, la valeur donnée à la terre par le travail propre de l’individu, au moyen de construction, est plus grande et plus importante. Il est à remarquer encore que, même dans la ville et aux alentours, le droit du souverain s'est exercé en beaucoup d'occasions. La confiscation, généralement admise n'était le plus souvent, que le retour de l'immeuble à son propriétaire légitime et perpétuel, qui le retirait des mains de son détenteur précaire.

Nulle part l'application de ces principes n'est aussi nette que dans la province de Qacentina, quel, que soit celui de ces trois caractères sous lequel elle se présente d'abord, de propriété individuelle, de propriété communale ou de propriété du prince.

Propriétés particulières.
D'abord, dans la province, la propriété particulière est exclusivement personnelle, fondée sur le travail propre de l'individu, et par suite viagère.

Pour les immeubles urbains, la propriété existe, par le fait de la construction mais elle ne devient un droit que par la concession expresse du souverain, constatée par l'apposition de son sceau sur le titre par lequel le cadi donne acte de la construction, et qui devient le titre même de la propriété pour la vie du moins du souverain.

Cette approbation authentique du souverain, nécessaire pour acquérir, le parait encore pour conserver. La concession faite par un bey pour une construction ou une exploitation particulière, pour une maison, pour une ferme, pour un jardin, est considérée comme n'engageant jamais son successeur, mais elle peut être de nouveau concédée bénévolement et indéfiniment renouvelée.

Presque tous les titres de propriété qui ont passé sous les yeux de l'administration française avaient été successivement ratifiés par une suite de beys, quelque fois au nombre de dix, et portaient pour dernier nom celui de Hadj Ahmed. Le consentement formel du souverain est donc nécessaire pour bâtir et pour posséder.

Pour les jardins, comme pour les propriétés urbaines, le travail est la source de la propriété. Dans l'usage, une seule exception parait avoir existé, sinon au droit de retrait perpétuellement réservé au souverain, du moins à son exercice, c'est le cas où la concession avait pour objet une construction religieuse, telle que mosquée ou zaouia. Le caractère religieux une fois imprimé à ces édifices et au sol qui les partait ne devant en principe jamais changer, la volonté même du souverain n'eût pu le ramener à un usage vulgaire.

Les concessions de douars ou de grandes parties de territoire ont quelque fois eu lieu, mais ces exemples sont en très petit nombre, et dans ce cas l’exception était presque toujours justifiée ou par la position de la famille qui les obtenait, ou par des services rendus. C'est ainsi que la famille des Ouled Lefghoun, celle qui possède dans la province de Qacentina les propriétés les plus étendues, les a obtenues des Turcs, à l'époque de leur établissement dans la Régence, pour avoir ouvert à Youcef, lieutenant de Kheireddine, l'entrée de la ville défendue par les Ouled Abdel Moumen.

Les familles qui sont au nombre de vingt neuf. Elles se classent toutes ou parmi les familles qui ont données des beys à la province, telles sont celles des Ouled Ben Hussein, Dar Hassan Pacha et Ouled Salah Bey ; ou parmi les familles de marabouts qui remplissaient depuis des siècles, à Qacentina, les fonctions de cheikh el beled, de nadher et de cadi, tels que les Ouled Lefgoun, les Ouled Bach Tarzi, etc… ; enfin, parmi des familles qui ont continuellement occupé les premiers emplois du makhzen, tels que les Ouled Ben Kutchuk Ali, Ouled Ben el Bedjaoui et Ouled Ben Djelloul.

Dans les cas particuliers que l'on vient de signaler, la propriété, du douar ou du domaine est indivise entre les membres de la famille, et, en principe, inaliénable. Le titre de concession étant personnel à la famille, la cession par vente ou échange en était nulle en droit ; aussi ne pouvait on trouver d'acquéreur. Si, par exception, quelques acquisitions de cette nature ont eu lieu, c'est que leurs auteurs appartenaient à des familles puissantes, et, grâce à leur position, se trouvaient sûrs de la faveur des beys ou n'avaient rien à en redouter. Dans ces cas là même, le prix de la terre restait toujours si inférieur à la valeur réelle, qu'on ne doit en conclure que les droits cédés étaient essentiellement précaires et révocables.

Les propriétés concédées par les beys à l'un des titres énoncés plus haut : jardins, terres ou douars, étaient souvent retirées Aux donataires ou à leurs héritiers par les successeurs du bey donateur. La reprise par ces derniers d'un droit inaliénable a été à tort nommée souvent par les Européens une confiscation.

Il existe à Qacentina quelques familles, en très petit nombre, qui possèdent des propriétés dans le Sahel et qui prétendent tirer leur origine des familles romaines établies en Afrique au moment où les Arabes en firent la conquête. Ces familles ayant embrassé l’islam, les conquérants leurs laissèrent leurs propriétés, qu'elles possédaient en vertu du droit romain. Ce seraient alors les seuls légitimes propriétaires ; encore pourrait on considérer la faveur dont ces familles furent l'objet comme une donation rentrant dans la catégorie de toute propriété musulmane, c'est~à dire que le souverain, représentant absolu de Dieu sur la terre, pouvait à son gré en retirer la puissance à ceux qui en abusaient, qui apostasiaient, qui sortaient enfin de la religion musulmane.

On a dit déjà que partout où la terre exigeait des travaux considérables pour la culture, où les besoins d'irrigations fréquentes nécessitaient un travail constant, où les soins journaliers de l'homme donnaient à la terre toute sa valeur, la propriété individuelle avait toujours été reconnue, sinon en droit, du moins en fait. Tel était, par exemple, le cas particulier de M’Sila, dont le territoire empruntait toute sa fertilité aux canaux tracés par les habitants pour y attirer les eaux de Oued Ksab. L'assurance d'avoir devant soi un certain avenir pouvait seule donner aux gens de M’Sila la persistante nécessaire pour tirer parti d’un sol ingrat.

Ce sol n'ayant par lui même aucune valeur c'est la main d'oeuvre qui constitue ici, à proprement parler, toute la propriété, et le détenteur reste en possession de sa terre au même titre qu'il reste maître de sa charrue et de son troupeau.

Les mêmes raisons qui avaient déterminé les beys à reconnaître à M'Sila un mode de propriété contraire à celui qui avait prévalu dans toute l’étendue du Tell et qui leur semblait le seul normal et le seul légitime, avait maintenu aussi la propriété individuelle à Biskra, dans tous les bourgs des Ziban, (pluriel de Zab), dans tous les villages de Sidi Okba, à Touggourt. C'est que là aussi toute la valeur des terres résultait des irrigations, c'est à dire du pur travail de l'homme. L'habitant, pour conserver des eaux rares, que le moindre accident fait disparaître, est astreint à des précautions, si multiples, qu'une possession certaine et continuelle pouvait seule le déterminer.

Enfin, le dernier exemple de la propriété individuelle dans la province de Qacentina est celui fourni par la famille des Ouled Saoula. Leur territoire, placé au centre des Ziban, offre pourtant, sous le rapport de son sol et de sa constitution, les plus grands rapports avec ceux du Tell ; mais ici, la propriété directe et héréditaire s'explique et se justifie dans le pays par la souveraineté qu'y exerçaient autrefois les ancêtres de la tribu, et dont leurs droits actuels de propriété sont comme un dernier reste.


Propriétés communales.
Près de la propriété Melk, telle qu'elle vient d’être décrite, se place la propriété communale de l’Arch ou de la Kharouba. Comme la précédente, on doit la considérer comme une propriété précaire, révocable à à la volonté du souverain. Par rapport à la tribu elle même et dans son sein, abstraction faite de la communauté générale et de la souveraineté des beys, cette propriété a le caractère collectif et social ; non seulement elle n’est pas aliénable, mais elle n'est pas même transmissible par héritage. Les terres de labour, aussi bien que les pâturages, sont communs pour 1’arch ou la ferka ou le douar, selon les dispositions prises par le souverain, ou par le kaïd, ou par le cheikh, ou par les chefs de famille, tandis que la propriété du mobilier, des bestiaux, des provisions et des instruments est tout à fait individuelle.

A la vérité, il se fait dans le sein de la tribu, sous la direction du kaïd ou du cheikh, une répartition secondaire du sol communal, au prorata des besoins et des facultés de chacun. Dans la pratique, les sebakh seuls ou terrains salants restent abandonnés à l'usage commun pour les pâturages ; mais le partage dont il s'agit n'est point un partage réel et définitif ; ce n'est qu'une application pure et simple du principe de la division du travail ; la terre, après comme avant le partage, reste indivisible et intransmissible.

Les raisons qui déterminent dans ce cas le chef de la famille, quel que soit son titre, à se départir momentanément, en faveur des individus, des droits qui lui sont délégués, sont les mêmes qui ont porté les maîtres du pays, administrateurs ou conquérants, à laisser, à certaines époques, l’arch ou la kharoubah se fixer sur tel ou tel point du sol, ou même à leur assigner eux mêmes une portion choisie du territoire, en déterminant ses limites. On cherchait dans les deux cas à éviter les collisions d'individu à individu ou de tribu, â tribu ; on cherchait aussi à procurer la meilleure culture du sol et le défrichement du plus grand nombre possible de terrains.

Des considérations d'utilité générale président à la répartition intérieure des terres dans la tribu. Les meilleures sont assignées, au chef, kaïd ou cheikh, et généralement exploitées au moyen de la touizah (labourage par corvée). Les terrains moins propres à la culture sont réservés pour établir les douars à l'époque de la semaille et de la récolte ; les autres, à l'exception des sebakh, qui servent exclusivement au pâturage commun des troupeaux, sont délimités par le kaïd ou par le cheikh et distribués à chacun des membres de l’Arch ou de la kharoubah.

Dans chacun de ces trois cas, le droit de posséder, plutôt que toute autre kharoubah, dans la tribu, ou plutôt que tout autre individu dans la kharoubah, s’efface et disparaît quand l’Etat intervient, ordonne de nouveaux partages ou réclame la propriété à son profit ou à son usage.

Les Arabes survenus dans la tribu après le partage des terres prennent celles des mourants, quand les enfants ne sont pas en état de labourer. Dans Le cas où il n'y a pas de terrains vacants par décès, l’arabe en obtient à l'amiable du cheikh, et cultive pour son compte, ou bien il s'installe comme khammès (quintinier) chez un Arabe qui fait travailler plusieurs charrues ou djebda.

Les terrains communaux des tribus sont tellement vastes, eu égard à la population, qu'il est rare qu'un accroissement dans celles ci nécessite un nouveau partage général sur des bases plus étroites. Des hostilités entamées avec l’Etat ou avec une tribu voisine peuvent seules forcer la tribu à resserrer dans une localité à l'abri des invasions, à abandonner l'ancien territoire pour en constituer un nouveau, mais ce cas particulier est en dehors des prévisions légales ; le plus faible subit alors la loi du plus fort, et les armes seules décident.

Dans les tribus dites djebaïliah (montagnards), et particulièrement dans celles administrées par des chefs héréditaires désignés sous le nom de Douaouda (nobles), la propriété était soumise à quelques conditions particulières, sans toutefois s'écarter essentiellement de la règle générale qui dominait dans la province.

Ces Douaouda, descendant en général des anciennes familles princières du pays, revendiquaient le commandement héréditaire de certains outhan (provinces). En fait, ce commandement se transmettait de père en fils dans ces familles, ou alternait entre les mains de familles rivales ou alliées. Telles étaient par exemple, pour l’outhan du cheikh el Arab, ou pour les Ziban, les Ouled Ben Gana, les Ouled Ben Saïd, les Debbaâh ; pour le Ferdjioua, les Ouled Ben Achour ; pour la Médjana, le pays des Ouled Khelouf et l’Ouanougha, les Ouled Ben Gherman, les Ouled Ben Guendouz, branches diverses des Ouled Mokran ; pour l’outhan Zouagha, les Ouled Ben Azzedine et les Ouled Ben Cheikh, etc...

Ces chefs, ont toujours eu une grande propension à se considérer comme les propriétaires immédiats du sol et des habitants compris dans les limites de leur autorité. Souvent indépendants des beys, souvent en guerre avec eux, ils étaient toujours redoutés parce qu'ils commandaient à des tribus nombreuses, guerrières, et qui habitent des lieux difficiles et inaccessibles, La réunion des tribus sous une autorité commune, complète sous quelques beys, tels qu'Ahmed Bey El Kolli et Salah Bey, était, sous d'autres, incertaine ou presque nulle. La première condition imposée par les Douaouda à la puissance turque était que l'hérédité dans les charges serait maintenue, que l'administration de leur outhan ne sortirait pas de leurs mains et continuerait selon les anciens usages. Aussi, à l'égard du territoire qu'ils dominaient, le droit de propriété du souverain était il plutôt nominal que réel, et ne s'exerçait-il que rarement. Les revenus qu'en retiraient les beys de Qacentina avaient plutôt le caractère de lezma (impôt ou contribution), que celui de dîme ou de loyer des terres, d'achour ou de hokeur. Le paiement en était réglé entre les Douaouda et le bey, selon des conditions particulières qui faisaient varier perpétuellement la forme et la qualité de l'impôt ; c’est une des raisons qui en rendent l’appréciation très difficile.

Chez les tribus djebaïlia, la culture, plus difficile et plus pénible que dans les plaines, a porté les Douaouda à reconnaître en faveur du cultivateur, outre un droit d’usufruit, un droit à la plus value du sol, qui est le résultat de son travail propre. Ce droit particulier porte le nom de segaâ, il est l'objet de transactions, et semble constituer une sorte de djelsa des campagnes, du moins offre t-il une grande analogie avec un des démembrements de la propriété, qui, dans la ville d'Alger, a reçu le nom de djelsan.

Dans toutes les tribus directement soumises au bey, ils restent possesseurs médiats de la propriété foncière ; c'est à ce titre qu'ils perçoivent sur toutes les terres le droit qui porte le titre de hokeur, et qui représente, à proprement parler, le loyer de la terre, droit auquel lis ne peuvent ni ne doivent jamais renoncer, sous peine de paraître renoncer à leur droit même de propriété.

Il y a eu fréquemment usurpation, soit de la tribu sur le sol de l’Etat droit de l'individu sur la propriété précaire de la tribu. En général, quand on rencontre dans la tribu quelque bien Melk, c'est à dire possédé individuellement, on peut affirmer qu’en remontant à une époque plus ou moins reculée, on arrivera à constater l'usurpation du domaine public par des usufruitiers qui ont transformé leur longue jouissance en droit de nue propriété.

Il est arrivé de même à l'égard de quelques petites tribus qui se prétendaient propriétaires du sol sur lequel elles étaient établira, parce que, en raison de services éminents rendus au beylec, ou bien pour les rançonner dans un besoin pressant, on leur avait rendu la faveur d'être exemptées du hokeur comme si les terres qu'elles labouraient eussent été des propriétés Melk. Dans tous les cas, le droit de retirer une concession essentiellement temporaire restait toujours entier, Dans les dernières années de son règne, Hadj Ahmed Bey ne respecta pas même les propriétés habous appartenant aux mosquées.

Des révoltes collectives eurent souvent lieu de la part de tribus puissantes pour se dérober tout à la fois aux droits de souveraineté et de propriété exercés sur le sol par les sultans et par les beys, ou pour empiéter même sur les domaines communaux du beylec. C'est ainsi que les Ahl Ben Dhif Allah s'approprièrent un instant les territoires désignés par les nom de Beled Dambar, Beled Ouled Kessah, et une vingtaine d’autres territoires communaux. Mais les Turcs ayant rétabli l'ordre dans le pays, firent rentrer une portion de ces terres dans la catégorie des propriétés communales, en réduisirent d'autres à l'état d'azela ou domaines propres du beylec, et, en signe de victoire ou de punition, grevèrent les Ahl Ben Dhif Allah d’une contribution annuelle en laine dont ils étaient exempts avant leur tentative d’usurpation.

Les propriétés communales portent les noms de l’Arch ou de la kharoubah qui y sont installés. Quand le territoire est peu considérable, on lui donne le nom de bled, suivi de celui de la tribu ou de la subdivision ; quand il est plus étendu, on lui donne le nom d'outhan, également suivi d'un nom patronymique.

Les limites des tribus ne sont en général déterminées que par la tradition, presque jamais par des écrits. Aussi leur incertitude engendre t-elle perpétuellement l'état de guerre. Une fixation générale du territoire abandonné aux cultures de chacune d'elles serait un immense service rendu aux populations.

Avant 1830, les tribus étaient assujetties au mode d'impôt désigné sous le nom de djabri. Dans ce système, le bey fixait l'impôt d’après l’étendue du territoire, arbitrairement déterminée par lui et non d’après le nombre de Djebda (terrain cultivé par une charrue) mises en culture. La tribu des Ameur Cheraga, par exemple, versait annuellement à Qacentina 1.000 saâ de blé et 1.000 saâ d'orge, quel que fut d'ailleurs le nombre de charrues qu'elle avait cultivées.

Après 1830, tous les terrains communaux furent assujettis aux droits de hokeur et d'achour, d'après le nombre de djebda mises en culture. Ce nombre était relevé sur les lieux mêmes par le Kaïd el aâchour.

L'aâchour était invariable pour tous les terrains communaux ; le hokeur au contraire, subissait une réduction en faveur des tribus qui se rattachaient Au makhzen.

Propriétés du prince.
La propriété du prince ou le domaine direct de l'Etat se compose de plusieurs classes distinctes d'immeubles, ayant chacune leur constitution spéciale et leurs règles propres, se sont :
- Les retheb el beylec.
- Les azela.
- Les djouabria (ou domaines frappés du djabri).
- Les habous.

Retheb el beylec. La propriété du domaine propre du beylec qui portait le nom de retheb el beylec (prairies du gouvernement), comprenait, malgré son titre des terres propres à toutes les cultures et les meilleures de la province. Un grand nombre servait à des labourages faits par le beylec lui même ; quelques unes étaient réservées pour les prairies sur lesquelles on élevait les poulains, chevaux et juments. Telles étaient, dans le Chaâbet el Khorchef, la portion désignée sous le nom d'Ouldjet Miet Kheil (prairie des cent chevaux) ; le Beled el Azib, sur lequel passaient les vaches, boeufs et moutons du beylec ; le Bled el Djenda, réservé aux vaches du bey, etc... Jamais ces propriétés n'ont été louées par l'ancien gouvernement ni concédées à personne.


Le kaïd ed dar, comme intendant du palais, était l'administrateur de ces cultures. Les agents qui sous ses ordres géraient cette catégorie des biens domaniaux, portaient le titre de kaïd de telle ou telle culture.

Les cultivateurs des tribus voisines ou des azela venaient tous cultiver sur ces terrains, c'était là le droit de touiza (labourage par corvée), réservé au beylec. Non seulement chaque charrue des terres voisines se rendait sur le lieu choisi par le beylec avec son conducteur et ses bêtes de somme, elle acquittait encore un léger droit au profit du kaïd. A ce bénéfice légitime, il en ajoutait souvent un autre qui l'était moins, celui d'exempter quelques charrues moyennant une somme perçue par lui et pour lui. Si les gens convoquées en vertu de la touiza, et qui devaient y consacrer chacun quatre jours, ne suffisaient pas pour tous les labourages, alors le beylec prenait des khammès (quintinier).

Ces khammès étaient ordinairement des hommes pauvres des tribus, bien famés et qui obtenaient comme faveur insigne de mettre leurs bras au service du beylec. Ils recevaient de l'Etat les bêtes de somme (ordinairement des boeufs) et la semence ; pour prix de leur travail, ils recevaient le cinquième du produit de la djebda qu'ils avaient cultivée. Les terres du beylec étant ordinairement de première qualité, bien arrosées et parfaitement entretenues, les profits étaient plus grands que sur toute autre propriété, et la condition de khammès du beylec était fort recherchée. Les oukkafs (administrateurs de biens domaniaux) se faisaient même dit on souvent payer une redevance par les khammès qu'ils choisissaient.

Les tribus ou les azela voisins dont les charrues avaient été mises en réquisition pour les labours, fournissaient en été des moissonneurs, des bêtes de somme, pour dépiquer et pour transporter les grains dans les magasins ou dans les silos étaient situés près des lieux de culture, et sous la surveillance d'un poste de deïra.


Les kaïds des terrains domaniaux ne pouvaient pas indifféremment appeler à là touiza toute charrue arabe ; le cercle dans lequel ils avaient droit à la réclamer était limité et à proximité du terrain à labourer, Munis d’un ordre du kaïd ed dar, ils mettaient les charrues en réquisition, et pour qu'il n'y eut pas d'encombrement, ils organisaient un service à tour de rôle. (Nouba)

Un semeur du beylec jetait sur le sol un huitième de sac de blé et le laboureur devait sillonner tout le terrain ensemencé ; c’était là, la tache de la journée si elle était mal faite, il devait la recommencer le lendemain.

Azela. On désigne par le nom d'azela un domaine momentanément détaché de la propriété du souverain (azela en arabe, signifie portion séparée). On distinguait deux sortes d'azela :

1) Ceux qui étaient soumis au hokeur, à l'aâchour et à des redevances spéciales.

2) Ceux qui étaient donnés, à titre d'apanage, de traitement ou de récompense, aux grands dignitaires de la maison du bey, aux fonctionnaires publics dont les charges étaient sans profit, aux marabouts ou hommes religieux dont on désirait utiliser l'influence au profit de la domination temporelle du bey,

Dans la première catégorie se rangent des propriétés rurales généralement de qualité inférieure ou éloignées de Qacentina ; celles situées près du voisinage des Kabyles ou cultivées par eux. C'était le bey lui-même qui concédait ces terres, le plus ordinairement à des hommes qui lui avaient rendu quelques services.

Quand un azela était occupé par une tribu, le kaïd en était réputé locataire, et devenait responsable du paiement des droits dus au beylec.

Ce mode d’administration était le moins avantageux pour le gouvernement, parce que les azela ne payaient qu'en raison du nombre de djebda mises en culture ; aussi les particuliers ou les tribus ne cultivaient le plus souvent que pour leur consommation, réservant pour les pâturages le plus de terrains possible. Cela allait quelque fois si loin, dit on, qu'ils étaient obligés d'acheter du blé et de l'orge pour acquitter leurs redevances en nature.

La redevance en argent pour les 111 propriétés du beylec qui portaient particulièrement le nom d'azela, était déterminée par le kaïd ed dar, d'après la consistance et la valeur de chacune d'elles, et suivant la condition du locataire ou ses titres à la bienveillance du bey. Le droit fixe de l'achour était d'un saâ de blé et d'un saâ d'orge par djebda mise en culture. Beaucoup d'habitants de Qacentina obtenaient des azela à ferme aux conditions qui viennent d'être indiquées ; quelques uns l'obtenaient avec exemption du hokeur ; presque toutes les azela devaient la contribution en paille fixée par d'anciens usages pour chacun d'eux. Le détenteur d'un azela devenait presque toujours, par le seul fait de la location, le chef administratif immédiat de tous les individus qui y étaient établis ; il percevait les amendes pour les délits de police intérieure et les vols, infligeait les punitions, était seul chargé et responsable de la perception et de l’acquittement des impôts dus au beylec par son azela.

Au moment de sa nomination, il recevait du kaïd ed dar un tezkereh (bulletin), revêtu du sceau de ce fonctionnaire, et qui seul constituait son titre de location ; c’est au moyen de cette pièce qu'il allait se faire reconnaître des individus établis sur le domaine qui venait de lui être octroyé. Le fermier, presque toujours beldi (citadin), avait généralement un oukkaf (substitut, résidant), chargé de surveiller ses intérêts et de le représenter dans l'azela.

La seconde catégorie d'azela se composait d'abord de celles de ces propriétés concédées à des fonctionnaires. Le nombre n'en était pas grand, parce que ces derniers préféraient à ces concessions qui ne leur conféraient que peu de droits et leur imposaient des charges et des soucis multiples, un commandement direct sur une ou plusieurs tribus, par exemple un kaïdat, qui leur permettait des bénéfices beaucoup plus considérables et moins pénibles. Cinq azela étaient dévolus au Khalifa du bey ; un au kaïd el ouissi ; un à l’agha des deïra ; deux au deuxième secrétaire du bey ; un au troisième secrétaire ; un au grand écuyer. Ces azela étaient inhérent aux charges ci dessus indiquées ; le jour même de l'investiture, le fonctionnaire devenait le maître de son ou de ses douars, et les fellahs qui y étaient établis devenaient ses serviteurs.

L’amin el kouaoucha (syndic des boulangers) avait un azela situé au pied du Djebel Chetaba. Cette concession avait été justifiée par la nécessité de placer sous ses ordres les gens de cette montagne, les seuls qui apportaient du bois en ville pour chauffer les fours publics.

D'autres azela à la seconde catégorie avaient été concédés aux marabouts influents de la contrée, en vue, comme en l'a dit déjà, d'obtenir leur accession entière au gouvernement et l'appui de leurs prédications dans les tribus. En tête de ces marabouts se trouvait placé le cheikh el beled, de la famille des Ouled Lefghoun, la plus ancienne et la plus vénérée de Qacentina, et qui avait outre un grand nombre de habous, l'administration d’une tribu kabyle. Tels étaient encore les marabouts Sidi Belkacem Bou Hadjar, Cheikh zouaoui Ben Baghrich, Sidi El Husseïn, etc..., qui possédaient du temps d'Ahmed bey, et qui possèdent encore un certain nombre d'Azela affranchis d'impôts et dont les revenus fournissent à leurs aumônes ou à leurs besoins.

Djouabrïa. Ces propriétés domaniales tiraient leur nom de la redevance annuelle fixe appelée djabri, à laquelle elles étaient soumises et qui payable en nature (blé et orge), formait antérieurement à 1830 impôts général de la province. Après la prise d'Alger, le bey, affranchi du tribut (denouche) annuel ou triennal qu'il payait au chef de la Régence, crut augmenter les ressources qu'il tirait du pays, en modifiant et en régularisant les impôts et il remplaça le djabri par le hokeur et l'aâchour.

Le djabri, qui n'était qu'une modification de la dîme, était déterminé dans chaque domaine par un certain nombre de djebda, portées sur les registres du beylec, sans présenter toujours le chiffre réel des djebda mises en culture.

Dans les bonnes années, ce mode de payement était favorable aux cultivateurs ; dans les mauvaises, il les ruinait. Il est arrivé souvent que les fellahs après avoir perdu la main d'oeuvre et la semence, étaient obligés, après la récolte, d'acheter du blé à leurs voisins pour acquitter les droits. Ces droits s'élevaient à 12 sacs et demi de blé et 12 sacs et demi d'orge par djebda imposée à la propriété ; plus une redevance en charges de paille, ordinairement 10, pour chacune de ces djebda. En argent, chaque charrue donnait au kaïd djabri le "hak zenian" (prix de perception), salaire des individus employés à la perception de cet impôt.

Avant 1830, lorsque l'impôt de djabri était général ; il existait deux kaïd djabri, l'un pour l'Est et l'autre pour l'Ouest, sous les ordres du kaïd ed dar ; ils étaient assistés dans la levée de l'impôt par, les deïra sous leurs ordres... Le kaïd djabri de l'Ouest, dont la limite était à Oued el Hammam, percevait l'impôt à Bordj Amamra, chez les Ouled Abdenour, et emmagasinait le blé et l'orge dans les nombreux silos qui y existent encore et qui étaient sous la garde d'un poste de soldats turcs, casernés dans un fortin aujourd'hui en ruine.

Le kaïd djabri de l'Est comprenait dans sa circonscription toutes les tribus situées entre Oued el Hammam, Mtaâ Si el Hassan et la frontière de Tunis et versait dans les magasins de Qacentina.

Après 1830, l'impôt du djabri ayant été supprimé pour presque toutes les terres, et n'ayant été conservé que pour les propriétés de l’Etat, probablement parce que les terres qui les formaient étaient les meilleures de la province, après les cultures propres du beylec (retheb el beylec), les charges de kaïd djabri de l'Est et de l'Ouest furent supprimées pour être remplacées par celles de kaïd el aâchour. Les azela qui continuèrent d'être régis d'après l'ancienne mode furent placés sous l'autorité directe et immédiate du kaïd ed dar.

Les beys avaient grevé les terres d'un impôt considérable en paille parce que, ne récoltant pas de foin pour nourrir les chevaux du beylec.

Il était d'absolue nécessité de pourvoir à leur nourriture par la voie des impôts. L'administration française, au moyen de grandes récoltes de foin a pu n'exiger des laboureurs qu'une charge de paille par charrue, et par là, apporter un grand soulagement aux populations pressurées en favorisant, sous plusieurs rapports, le développement de l'agriculture.