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M'Hamed Tchaker (janvier 1818).

cascades souterainesTurc originaire de Smyrne, avait servi dans le corps des janissaires. Nommé kaïd des Ameur Cheraga, il avait été réintégré dans la milice par Naâman Bey pour les raisons que nous connaissons. Il était attaché à la colonne et âgé de soixante ans, quand il fut investi du kaftan de bey par Omar Agha sur le théâtre des opérations. La cérémonie eut lieu avec autant de pompe que pouvaient le permettre les ressources restreintes de la petite ville de M'Sila. Les fêtes durèrent trois jours pendant lesquels on servit à profusion à la troupe et aux milliers de curieux et invités venus de toute la région, du couscous et des méchouis fournis, en la circonstance par les tribus locales.

Pendant que Omar Agha reprenait la route d'Alger par Sour El Ghozlan, évitant les Portes de Fer, Tchaker Bey prenait ses dispositions pour rejoindre, mais à petites étapes, sa capitale, En attendant d'y arriver, il expédia des messages annonçant aux uns : ouléma, cadis, muftis, cheikh el baladia, sa nomination ; Aux autres : bach kateb, keznadji et différents kaïds, son investiture et ses instructions pour la mise en ordre des affaires et des finances en particulier qu'il confiât à la garde de Youcef kaïd dar. A celui ci, il recommanda aussi de prendre immédiatement possession des biens mobiliers et immobiliers appartenant à Mustapha Khodja exilé à Alger, à Ahmed Ben Sayeh, à son frère Tayeb Ben Sayeh kaïd el azib el begueur, à leur soeur Aicha, et leurs parents, devenus extrêmement riches grâce à la complaisance de l'ancien bey.

Parti de M'Sila, Tchaker Bey campa le premier jour à Bir Seriat ; le second jour à Hammam Ksar Teïr, et le troisième jour à Sétif où il séjourna deux jours. De là, il regagna Qacentina.

Il fut reçu, à l'entrée de la ville, au bas du Coudiat Aty, par une forte délégation de fonctionnaires et notabilités. Le cortège l’accompagna jusqu'à Dar El Bey, au milieu de coups de feu et des acclamations de la foule à laquelle il lançait de temps en temps, des volées de pièces de monnaies.

Dès son installation, il reçut, un à un l'hommage des dignitaires, notabilités, courtisans en quête d'honneur et d'argent. Il se fit ensuite présenter par son kaïd nouba la liste des officiers à récompenser, et par son kaïd dar la liste des biens laissés par son prédécesseur qu’il fit saisir immédiatement, Puis celle des notables qui lui étaient plus ou moins défavorables et enfin celle des amis de l'ancien bey parmi les plus riches afin d'en saisir les biens.

Ce fut ainsi que : Ben Henni, chef des Palefreniers, fut arrêté et jeté du haut de la galerie du palais dans la cour ; que Ben Azzouz, ancien agha des Zouaoua, fut pendu au haut des remparts de la porte Bab El Oued.

Ses consultations terminées, il constitua ainsi son makhzen : Osman Khodja, Khalifa ; Youcef, kaïd dar ; Tahar Ben Aoun, kaïd deïra ; Maâmar Bel Ahrèche, bach Serradj ; Mohamed Ben Saci, bach kateb ; Soliman Ben Daly, kaïd zemala ; Ahmed Ben Zekri, bach siyar ; Ahmed Ben Aoun, agha nouba.

Son administration mise en place, il inaugura son gouvernement de la province en ordonnant des razzias autour de Qacentina, dans la plaine du Hamma en particulier, où les Propriétaires possédaient de nombreux troupeaux et des réserves importantes de blé. Ces actions conduites contre ses propres administrés soulevèrent, de la part de tous, une sourde réprobation. Mais le glaive invisible, suspendu au dessus de leur tête, ne permettait aucune récrimination à haute voix. Aussi chacun conserva t il ses distances, tout en obéissant à ses moindres gestes.

Il faut dire que Tchaker Bey, sous des apparences d'un gros homme simple, tenant continuellement un chapelet à la main, borné et superstitieux jusqu'à dissimuler un collier d'amulettes sous ses vêtements, possédait un caractère beaucoup plus proche d'une bête féroce que d'un être humain, cruel et sanguinaire, cynique, possédant un rire sardonique et strident, coléreux à l'extrême, n'admettant aucune contrariété à ses désirs aussi monstrueux fussent-ils.

Cette puissance, il la devait surtout à la milice turque qu'il flattait et ménageait en lui accordant souvent des gratifications. Devenue docile elle servait d'instrument à l'exécution de toutes les besognes qui donnaient satisfaction à ses instincts, comme à sa cupidité, mais qui procuraient aussi à tous les janissaires des avantages matériels immédiats.

Sa première sortie dans l'arrière pays fut dirigée vers l'Ouest en janvier 1815, contre les Mokrani et les Bou Renan dont Omar Agha, son ami, eut à souffrir.

Il partit de Qacentina avec la colonne d’hiver, campant le premier jour à Aïn El Beguirat ; le deuxième jour à Draâ Tobal ; le troisième jour à Kareb ; le quatrième jour à El Medjaz ; le cinquième jour à Sétif d'où il se rendit pour deux jours à Aïn Taghrout chez les Abdeslam et les Guendouz, deux autres branches des Mokrani rivales des précédents Rivalité créée et entretenue par les beys de Qacentina afin de combattre les uns par les autres et conserver l'empire sur tous.

De Aïn Taghrout, il adressa des messages aux premiers, à Médjana les invitant à venir discuter du règlement des différents qui les opposaient. Douze personnalités parmi les plus importantes de la famille, richement vêtues et accompagnées de leurs serviteurs, répondirent à l'invitation. Le Khalifa Osman Khodja alla lui même au devant elles pour les recevoir et les installer en leur tente, richement pourvue de matelas et tapis de haute laine.

La Dhiffa, présidée par le bey se termina dans une ambiance de bonne humeur et de détente. Pendant que chacun devisait avec son voisin et que les douaer servaient du thé, le bey sous un prétexte quelconque, et ses assistants sortaient un à un sans éveiller 1’attention des convives. Subitement, la tente fut cernée de toutes parts ; des janissaires, armes aux poings, s’y précipitèrent tirant chacun sur une victime désignée. Morts ou blessés, tous les Mokrani eurent la tête tranchée et, envoyée à Qacentina, à l'exception d'un seul qui réussit à se faufiler dans la mêlée et à sortir de la tente pour se lancer à cheval dans un course folle à travers la campagne.

Le bey crut en l'absence des chefs, le moment favorable de monter une expédition contre Médjana, centre vital de l'ennemi. Mais l’alarme était déjà donnée non seulement par le rescapé, mais aussi par une jeune fille de l’une des victimes qui ameuta les douars proches en parcourant au galop les Ouled Dahmane, les Hasnaoua et les Hechem. Aussi lorsque le bey et sa colonne arrivèrent au niveau de Cherchar, ils rencontrèrent une résistance inattendue. Hommes, femmes, vieillards, se défendirent pied à pied, qui à coups de fusils, qui à coups de pierres, de pioche ou de faux, de bousâadi ou de sabre, au point que le bey, perdant beaucoup de monde, quitta précipitamment le champ de bataille suivi de quelques spahis de sa garde.

On appela la montagne qui domine les lieux« Oum Rissan » pour avoir été témoin de tant de têtes tombées à ses pieds.

De retour à Qacentina, il apaisa sa colère et sa haine en faisant tomber quelques têtes de bourgeois dont, les biens saisis servirent à amortir les frais de la campagne, et, à faire taire la milice durement éprouvée.

Il procéda à la nomination de son fils Mahmoud, âgé de 18 ans, au poste de kaïd des Heracta, poste qu'il avait détenu jadis. Ce fils entouré de jeunes issus de familles turques de l'entourage du bey, se laissa entraîner dans la débauche et la boisson. Ignorant les biens, l'honneur et la vie d'autrui, il faisait tout ce qui lui passait par la tête ou suggéré par ses compagnons. Servis par un serviteur dévoué, El Aggoun Seghir, élevé plus tard aux fonctions de bach khaznadji, pour les services rendus, ils organisaient des fêtes nocturnes, sortes d'orgies sans nom, où la folie des actes le disputait au cynisme le plus terrifiant (1).

(1) Vayssettes Ouvrage cité' n° 26 pp. 93-94.

Le père, au courant de ce comportement ne fit rien pour l'en empêcher, il est vrai que personne n’osa s'en plaindre.

A la fin de l'année 1815, Mahmoud Pacha, bey de Tunis qui venait de supplanter son cousin Osman Bey successeur de Hamouda Pacha décédé au cours de l'année précédente tenta de régler avec Alger les différends qui opposaient les deux Pays depuis fort longtemps. Omar Agha, devenu dey, se maintint aux exigences de ses prédécesseurs à savoir :

- La reconnaissance de la suzeraineté du dey d'Alger.
- La destruction des fortifications du Kef.
- Le paiement exact des redevances stipulées par les traités antérieurs et versement immédiat des échéances arriérées.
- N'arborer le pavillon tunisien qu'à mi mât.


Le bey de Tunis ayant refusé cette dernière condition, l'état des hostilités demeura inchangé, c'est à dire, réduit à quelques escarmouches que les auxiliaires de Tchaker Bey entretenaient. Ce dernier ne poussa pas plus loin ses incursions dans les territoires voisins, soit que son maître ne le lui demanda pas, soit qu'il jugea ses forces incapables d'entreprendre une expédition de grande envergure après ses derniers échecs. Mais il fut bien obligé, en début de 1816, d'envoyer des renforts à Alger ou Lord Exmouth faisait pression sur le dey pour l'amener à signer l'engagement de respecter certaines conditions édictées par les puissances européennes en ce qui concerne l'esclavage et autres.

Cette attaque, repoussée, le dey fit fermer par le bey, les Etablissements Anglais de Bône pour les confier aux Français. Toutes les personnes qui s'y trouvaient au nombre de 800, furent arrêtées et conduites à Alger. Cette mesure provoqua le retour de Lord Exmouth à la tête d'une flotte anglo-hollandaise qui bombarda Alger le 26 août depuis 2 heures de l'après midi à 10 heures du soir, occasionnant dans la ville des dégâts considérables.

Le dey Omar accepta alors les conditions de paix :

- Libération immédiate et gratuite de tous les esclaves chrétiens.
- Remboursement immédiat de toutes les sommes reçues depuis le commencement de l'année pour libération d'esclaves.
- Réparation des pertes éprouvées par le consul anglais.
- Excuses publiques faites par le dey.

Ce traité rendit la liberté à plus de 12.000 esclaves chrétiens (2).

(2) L. Péchot Histoire de l’A.N., p. 124.

Malgré cet échec, le dey Omar n'en continua pas moins ses opérations militaires contre les Flissa, encore en révolte, et à la fin de 1816, il eut la satisfaction de venir à bout de ces redoutables montagnards qui s'engagèrent à payer un tribut annuel de 500 boujous. Une promesse valable souvent pour le temps de récupérer et de se réorganiser pour une nouvelle révolte.

Dans le Constantinois, la situation n'était guère meilleure. L'impôt ne rentrait de nulle part. Quand un brasier s'éteignait d'un côté, il renaissait de l'autre. L'Est, l'Ouest, le Sud en ébullition, ne permettaient aucun répit au makhzen. Ne pouvant y faire face, Tchaker Bey faisait peser sa colère sur les tribus proches et certaines personnalités de son entourage avec les biens desquels il alimentait son Trésor et réglait la milice. Kaïd Ameur Ben Hamlaoui, les Ben Sayeh, Mohamed Meki Ben Saci bach kateb, le cheikh Ahmed El Eulmi cadi hanafi, en furent les principales victimes. Arrêtés et torturés avant de mourir dans des souffrances atroces, leurs biens furent saisis et leurs familles pour la plupart exilées.

Mustapha Ben Achour, en dissidence depuis fort longtemps, épuisé par l'âge et la lutte fit exprimer au bey, par l'intermédiaire de Osman Ben Chaouch, beau frère de Tchaker, son désir de soumission. A la suite d'une réponse favorable. Mustapha Ben Achour quitta sa résidence pour Qacentina. Arrivé à Sidi Mohamed El Ghorab, il y trouva Osman Chaouch qui l'attendait entouré des principaux membres du makhzen dont : kaïd dar, bach siyar, bach kateb, l'agha, escortés d'une compagnie de spahis en grand apparat. Après que chacun eut mis pied à terre pour lui présenter ses hommages, on reprit le chemin de la ville.

Dès leur arrivée à Dar El Bey, Mustapha Ben Achour fut introduit auprès du bey. Au moment où il s’apprêtait à lui baiser la main en signe de respect et de soumission, le kaïd el kasba s'en saisit et le jeta entre les mains des chaouchs qui l'étranglèrent devant toute l'assistance.

Le commandement des Ferdjioua fut confié alors à son frère Magoura Ben Achour qui périt, d'ailleurs, plus tard décapité (3).

(3) Mustapha Ben Achour laissait deux fils : Rahmani et Ahmed Bou Okkaz. Le bey les élimina de la succession au bénéfice de Magoura qui avait contribué dit on à la réussite de ce piège qui coûtât la mort de son frère. Mais aussitôt le crime consommé, Tchaker le destituait et donnait le burnous d'investiture à Bou Renan Ben Derradj, son autre frère, parce qu'il offrit dix fois plus le prix versé par Magoura lors de l'investiture (tous les postes offerts par les deys ou beys étaient payés sous forme de cadeaux : Hadiyet el barnous). Froissé de cette préférence, Magoura se mit en révolte. Bou Renan, appuyé par des troupes cédées par le bey, marcha aussitôt contre le rebelle et lui fit subir une razzia dans laquelle il perdit tout ce qu'il possédait. Il sera pris, un peu plus tard et mis à mort.

Si Tchaker Bey réussissait toujours dans ces sortes d'opérations perfides, il était rare qu'il remportât de victoires purement militaires sur ses adversaires. Aussi, toutes ses razzias entreprises au cours de cette année 1816 se soldèrent par des échecs retentissants. Au lieu du butin qu'il cherchait, il n'en rapportait que la honte d'être battu et le dépit de se voir frustré dans ses espérances. Sa plus grande défaite fut enregistrée contre les Mokrani et les Bou Renan qui mirent en fuite ses troupes et lui enlevèrent ses tentes, ses bagages, ses propres mulets et ceux de son armée aux Ouled Ayad.

Il ne poursuivit pas moins ses exactions partout où il le put. En début de 1817, il s'attaqua aux Nememcha de la région de Fedj Terrad. Ceux ci, avertis et ayant déjà quitté les lieux, il se dirigea sur les Ouled Sidi Obeïd auxquels il enleva troupeaux et vivres.

Pris dans une tempête subite de neige qui dura deux jours sans interruption, son camp fut entièrement détruit. Lorsque le ciel s'éclaira et qu'un rayon de soleil vint luire sur ce champ de désolation, Tchaker Bey ne trouva auprès de lui que quelques Turcs et ses serviteurs les plus dévoués dans un état lamentable. Tout le reste avait été dispersé par la tempête. Sur avis de Tahar Ben Aoun, kaïd deïra, il chercha un arrangement avec les Ouled Sidi Obeïd. Ceux ci acceptèrent de ne pas entraver sa retraite à condition qu'il leur restitua la totalité de leurs biens et qu'il promît de ne plus remettre les pieds chez eux. Ce qu'il fit, à son grand désespoir. Il tenta alors une opération contre les Oued Derradj.

Il partit vers Draâ El Kobeur, entre Taga et Zana où Ahmed Ben Chérif, kaïd de la zemala vint le rejoindre avec son goum. Les dispositions de bataille arrêtées, une colonne commandée par l'agha Ahmed Ben Aoun partie de nuit arriva à l'aube sur les lieux du campement des Ouled Derradj. Ceux ci, avertis, on ne sait comment de cette incursion, laissèrent approcher et entrer toute la troupe dans le camp, mais dès que le dernier des cavaliers eut franchi l'enceinte, de derrière chaque tente, se dressèrent tout à coup des hommes armés de fusils, de sabres, de pioches, de bâtons, qui les cernèrent et les enlacèrent si bien qu'aucun homme ne put ni fuir ni se défendre. Ils furent tous tués ou faits prisonniers, et parmi eux, plusieurs membres du makhzen dont Mustapha El Ahrèche bach serradj, Mohamed Zemmouri, Hamadi Ben Aoun et son frère Hafsi Ben Aoun.

Traînant leurs prisonniers, les Ouled Derradj allèrent investir le camp du bey à douze heures de marche de là. Au bout de quelques heures de combats indécis, on chercha, de part et d'autre, un arrangement qui aboutit à l'évacuation totale des troupes beycales en échange des prisonniers de la veille.

Tchaker Bey regagna sa capitale, exténué de fatigue et de dépit, et, pour cacher son amertume et amoindrir les effets de ces échecs aux yeux des janissaires et de la population, aux uns il distribua des gratifications ; aux autres, il organisa une grande "zerda" au Coudiat Aty, à la chapelle de cheikh Soliman Medjoub (4) au mausolée de Sidi Abdelkader, à laquelle furent conviés tous les pauvres de la ville et de la région.

(4) Ce saint personnage était originaire de la région d'Alger. Après son pèlerinage à la Mecque, il s'établit à Constantine, dans une maisonnette proche de la zaouïa de Sidi Yasmin. Il se retira ensuite sur le Coudiat Aty auprès des marabouts Sidi El Ouzan, Ali Ben Makhlouf et Abdallah Bou Kelb. Là, il se livra à l'éducation de la jeunesse et à la pratique de la charité. De tous côtés, on vint suivre ses leçons, apprendre à comprendre le Coran. Par suite, des tribus entières, lui offrirent des subsides avec lesquelles il nourrissait ses convives de passage ou qui y demeuraient en permanence. Son corps repose sur le Chettaba.

Pour comble de malheur, le 8 octobre 1817, Omar Pacha, son protecteur, mourut étranglé par la milice turque. Son successeur Ali Khodja, après avoir réglé le différend qui opposait Alger et Tunis depuis fort longtemps en décidant que chacune des deux puissances reconnaissait l'indépendance absolue de l'autre partie contractante et que le bey de Qacentina ne pourrait en aucun cas agir "pro prie motu" et qu'il n'aurait d'autres pouvoirs que ceux résultant de ses fonctions de gouverneur d’une province au nom et par délégation du dey prit des mesures radicales pour rétablir l'ordre dans la milice.

Il commença par s'éloigner du centre de la ville en quittant la Djenina trop proche des casernes, pour s'installer au haut de la Casbah. Il s'entoura d'une garde composée de Zouaoua et de spahis Kulughlis hostiles aux janissaires turcs. La milice, s'étant élevée contre ce déménagement insolite, il lâcha contre eux sa garde avec mission de ne faire quartier pour personne. La guerre civile éclata et la basse Casbah devint, en quelques heures, un champ de bataille parsemé de morts et de ruines. L'hostilité entre les deux partis se poursuivit pendant quelques jours avec moins d'intensité certes, mais laissant chaque jour sur le terrain de nombreuses victimes, Perdant beaucoup d'hommes et lassé de cette guerre sans gloire, la milice sollicita une trêve. Hadj Ali Pacha la leur accorda le 2 décembre 1817 à la condition que toutes les unités insurgées quittent immédiatement le sol algérien pour Smyrne ou Istambul.

Lorsque ces nouvelles parvinrent à Qacentina, bon nombre de Turcs, les janissaires en particulier, prirent peur. Afin de gagner les grâces du pacha, ils commencèrent par se détacher de leur bey et dénoncer ses exactions cause de leurs revers et du malaise dans la province.

Tchaker Bey sentait bien que la sentence de sa disgrâce ne tarderait point à parvenir d'Alger. Il en fut convaincu, en automne quand il reçut du dey, le refus de recevoir des mains de son Khalifa Osman Khodja, le "denouche" habituel ' et l'ordre de le remplacer par Bakir Khodja. En ville, on disait partout qu'il était remplacé par Kara Mostefa, kaïd de M'Sila. Il fit rechercher partout ce rival, mais averti par ses amis, celui ci quitta la ville et partit à Jijel d'où il s'embarqua pour Alger. Quand quelques officiers de la milice turque venus d'Alger lui apprirent la nomination officielle de Kara Mostefa en janvier 1818, il s'enferma dans son palais, interdisant accès à tous hormis les siens.

Pendant ce temps, son compétiteur abandonnant la route ordinaire pour ne point donner l'éveil, s'était avancé par le Djurjura et venait d'atteindre les plateaux du Ferdjioua où, s'étant fait reconnaître, il rassembla un contingent de cavaliers.

Tchaker Bey chargea son fils Mahmoud de se porter au devant de Kara Mostefa. La rencontre eut lieu à Bir El Beguirat. Mahmoud Tchaker, voyant ses rangs s'effriter à la vue du nouveau bey, abandonna le terrain pour rentrer au galop à Qacentina où il s'enferma avec son père à Dar el Bey.

La garde personnelle déserta à son tour. Elle rejoignit la foule qui s'était amassée au dessus de Keria sur la rive droite de Bou Merzoug et au camp des oliviers au dessus de l'Ouled Rhummel.

Tchaker Bey quitta le palais, suivi de son unique serviteur Abdallah Seghir et chercha refuge dans la maison de cheikh Ben Lefgoun. En dépit de la promesse de la protection qui lui avait été faite, ce dernier le livra â Kara Mostefa. Deux chaouchs vinrent le prendre et le conduisirent en prison, où trois jours après, il fut étranglé (fin janvier 1818).

Son corps fut déposé dans la khaloua de Sidi Abdelkader, près du cimetière de Sidi Messaoud Sayeh.

Mohamed Ben Malek, beau frère du pacha, et le bach agha, arrivèrent peu de temps après à Qacentina chargés du contrôle des finances. Ils trouvèrent les caisses du Trésor à peu près vides. On soupçonna Mahmoud fils du défunt d'en avoir fait disparaître le contenu. Arrêté et soumis à la torture, il avoua avoir détourné douze jarres et un sac pleins d'or et d'argent qu'il avait cachés dans le Rhumel. Lorsque ce trésor fut découvert et reversé dans les caisses de l'Etat, on procéda à la vente des biens immobiliers de l'ex bey ; le produit fut partagé, comme de coutume, entre le diwan, la milice et le Trésor.

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